l'intelligence du dessin

Publié le par ap

(Claes Oldenburg)


« Les objets de consommation perdent leur superbe et, flasques, pendouillent de manière grotesque à un fil ou à un clou : une prise électrique – mâle évidemment- ou encore une échelle molle confectionnée en 1967 disent avec une intonation frondeuse le ridicule attaché aux démonstrations viriles habituelles »

 

Maurice Fréchuret, Le mou et ses formes, Editions Jacqueline Chambon 1993 (p. 163)



Le travail de Claes Oldenburg occupe depuis longtemps une place de choix dans l’univers de la sculpture monumentale. Bien que j’avoue une certaine préférence pour ses premières œuvres, et les objets de petites dimension,  force est de constater que, tout au cours de ces années beaucoup de ses réalisations ont su, avec humour et finesse, s’insérer dans l’espace public. Certes, toutes n’ont sans doute pas la même force et certaines peuvent même sembler plus faciles que d’autres, voire plus décoratives.

La grande qualité de ces sculptures ne repose pas seulement sur le changement d’échelle, le surdimensionnement d’un objet ordinaire, mais tient d’abord au choix des matériaux que l’artiste associe à cette transformation. La rigidité ou la mollesse (hard and soft) de certains volumes tient avant tout à cela.


 

The soft toilet (1), par exemple, réalisé en toile vinyle, partiellement rembourrée de kapok évoque par l’affaissement de sa cuvette la gueule ouverte d’un hippopotame, the Ghost Drum Set (2), composé de 10 éléments en toile (représentant les différents éléments d’une batterie), bourrés de billes de polystyrène, cousus et peints en blanc, ressemble par bien des aspects à une nature morte.

Le lavabo (version dure 4), réalisé en carton, a l’allure d’un monument antique - tout comme d’ailleurs The Flashlight (La Lampe torche) peut être assimilé à une  colonne - tandis que la version molle (soft lavabo ghost version 5) rappelle la dépouille supposée de Michel-Ange peinte en guise d’autoportrait dans le jugement dernier, que la représentation en plâtre d’une Bouche d’incendie (Fire plug souvenir 3) convoque sans ambigüité celle d’un buste féminin primitif badigeonné de substances organiques.


Enfin, la reprise géométrique et articulée de la tête de Mickey (Géometric Mouse) est on ne peut plus proche, par les jeux de plans des volumes épurés, des sculptures de Antony Caro ou Calder.

 

Pourtant, plus encore que les sculptures, ce sont les dessins de Claes Oldenburg qui ont souvent retenus mon attention, car c’est finalement sous cette forme, somme toute très classique, que naissent ses intentions, que l’opération de métamorphose s'amorce et s’opère. Nombreux projets de sculptures sont d’ailleurs restés à cet état d’ébauche, de rêves notés ; certains d’entre eux ont été poussés jusqu’à la maquette dont le choix des matériaux induit aussi l’objet à venir.


Comme chez Rodin, ce travail d’approche fait de croquis griffonnés, d'aquarelles ou  épures, révèle assez bien, je crois, ce qui, par la ligne, fait penser le volume.

 

Lorsque Claes Oldenburg prend comme sujet un ventilateur (« The Soft fan »), il peut choisir d’en adoucir les différents éléments rigides et tranchants et, finalement, par un crayonné disloqué sous l’aquarelle, d’en assouplir la ligne robuste de l’armature au point que cette fière fleur de métal finisse par être fanée.


Lorsqu’il figure deux mégots accolés, leurs filtres évoquent, par le traitement du pastel, le duveteux de la chair, et l’on comprend soudain que les tubes de papier froissé qui les prolongent ne sont peut-être rien d’autre que les jambes d’un pantalon en partie descendues aux genoux.

 

Le corps (et plus particulièrement l’érotisme qui lui est associé) est l’un des moteurs de transformations des objets dans l’œuvre graphique de Claes Oldenburg. Un aspirateur couché sur le côté, un tube de peinture peuvent facilement renvoyer à une figure féminine allongée et une pince à linge à une idole primitive (ou au baiser de Brancusi), une poignée de frites tombant d’un cornet suggère des jambes s’agitant sous une jupe, un double interrupteur mime une poitrine, un moteur de hors-bord, une gouttière en PVC, une clée  plate (et même le visage géométrisé de Mickey) s’avèrent être des attributs masculins…


Claes Oldenburg -  Lettre Q, 1974 et  Nu assis, 1959

La lettre Q, vue comme une bouée trop gonflée, une outre trop pleine ou un ventre replié sur le nombril laissant laisse trainer au sol son appendice, en est évidemment l’un des plus explicites.


Ces jeux d’équivalences graphiques entre la forme d’origine et ce qu’elle finit par induire montrent à quel point, pour Oldenburg, la fonction du dessin constitue des effets de loupe, de filtres ou de miroirs déformants), caractéristiques déjà présentes dès ses premiers travaux. 


 

Femme, 1960 - Femme (détail) 1960 - Mannequin unijambiste, 61 - Planche (détail), 65 - Frites tombant d'un cornet, 66.

 


L'influence de Jean Dubuffet, qui se manifeste à la fin des années 50, tant par les matériaux frustres que pour le mode de représentation, est sans conteste celle qui marque un tournant dans le travail de Claes Oldenburg. Son univers de formes se simplifie, le dessin parfois combiné aux fragments de journaux déchirés insiste sur un aspect modulaire et des jeux d’enveloppes plus arrondies. Cette approche plus « brute », appliquée aux objets manifestes du monde urbain, donnera rapidement naissance aux premiers accessoires du Magasin (The store, 1962) : objets en toile ou en plâtre repeints sauvagement, dans des tons criards, répliques grossières de produits de consommation courante (aliments, vêtements…).


Ce sont ces figures simplifiées, exprimées par le collage et le dessin, ramenées à leurs principes élémentaires, qui vont autoriser (déclencher), sur un principe de vases communicants, les mécanismes de correspondances formelles. En témoignent encore ces quelques études de Gomme pour machine à écrire (Typewriter eraser) qui sont caractéristiques des différentes pistes envisagées par Oldenburg : tantôt cocarde ou médaille, tantôt  figure totémique ou cyclope, tantôt poupée... et encore langue pendue, tornade ou jeune fille aux bas.


 

 

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