Coups de foudres et miroirs de pierre

Publié le par ap

(Marc Couturier)

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Il s’agira d’abord de considérer les plus infimes signes qui constituent ici le corps de l'image. Dépôts, proliférations de moisissures, effets de ruissèlement ou d’humidité qui se manifestent à la surface des supports que Marc Couturier prélève, retient et présente.  

Ainsi de ces petits morceaux de bois marqués par les traces du temps et l’usage,  découpés et disposés tel un triptyque dans des caissons de carton blanc. Les taches et les concrétions qui de sont formées à la surface du bois miment de vagues figures, de probables présences. Isolés, détachés par la découpe (le cadrage) effectuée dans des douelles de barrique, ces micros phénomènes deviennent des tableaux miniatures.  Fenêtres ou peintures suspendues aux  cloisons d’un théâtre de poche dont le dispositif de mise en boite suggère qu'il pourrait tout aussi bien s'agir d'une maquette pour un accrochage monumental.

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Il en va de même pour cette simple section d’une planche, posée debout sur un disque de verre dépoli ; sciée d’un coté, éclatée de l’autre et dont la fibre déchirée se dresse comme flammes rivalisant contre la flèche d'une cathédrale. Façade surgissant du miroir givré d'un plan d'eau.

L’image nait d’un regard, d’une attention à ce qui est évidemment là. Les reports au trichloréthylène de vieilles feuilles de papier retrouvées dans des pochettes plastiques restituent l’apparition fragile et évanescente d’un horizon hivernal. Infime présence des gris qui surnagent sur le blanc rendant compte au sens propre comme au sens figuré d’une révélation de la vision.

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Cette longue feuille de « Placoplatre » où se sont développées des nappes de moisissures, ici relevée à la verticale, s’impose soudainement comme l’évidence d’un panorama. L’harmonie subtile de la palette en vert de gris, ponctuée d’ocres, coiffée d’un panache blanc tout en affirmant sa matérialité devient paysage. On se souviendra de la fameuse observation de Léonard de Vinci qui, de  la lèpre d’un mur, voyait surgir mille batailles, du regard enfantin toujours étonné par les formations mouvantes et fantastiques des nuées, de l’émotion à voir surgir, des bas côtés embrumés d’un chemin, la silhouette inquiétante ou monstrueuse d’une souche.

En ce sens, si un tronc d’arbre (avec ou sans nodosités) peut rappeler l’allure d’un corps humain, on ne s’étonnera pas qu’une lame de barrique redressée puisse évoquer, pour sa part une figure totémique. L’illusion est le mystère des représentations dont l’image est un faux-semblant toujours, un simulacre tangible.  Car après tout, cet arc de foudre incurvé, tanné par le temps,  n’est-il pas, lui aussi, un signe de rites anciens ? Figure « chargée» à sa façon qui porte, imprégné dans ses fibres, les jus de quelques libations dionysiaques ?

 Depuis le miroir d’eau déposé dans le fond d’une barque de Saône jusqu’au plan concave où s’abîme la moitié d’un autre, l’illusion du reflet de l’image nous transporte de souvenirs ordinaires en récits mythiques. Les images sont des leurres que le flux de la mémoire charrie telles des âmes sur le Styx. La barque vide qui se mire nous confond et nous aveugle. L’objet et son image ne font qu’un. Tel l’Orphée de Jean Cocteau, telle l’Alice de Carroll nous serions enclins à croire que le monde de derrière l’écran prolonge et double le réel d’un fantastique  et  d’un merveilleux alors qu’il ne s’agit là que d’un adorable leurre.

SAM_7634.jpgRendre présents ces signes ordinaires, c’est travailler à leur détachement, à leur extraction du contexte d’où ils se manifestent dans le désordre et la confusion naturelle, c’est s’atteler à leur redressement dans des boites et des cimaises.

La série des Cabochons, véritable piège du regard en est l’insigne manifestation. Au mur une suite de petits carrés distribués régulièrement figure de façon insistante un élément d’architecture. Le volume autant que le grain et l’apparence de l’objet évoquent, de loin, l’idée d’une dalle de pierre. Au centre de ce  pavé minéral  est inscrit la géométrie d’un disque dont les nuances de gris accusent l’apparence légèrement bombée. Un cabochon, dans le vocable architectural, est un élément décoratif saillant et de forme ronde. Si le  titre renvoie donc de toute évidence à la définition de la chose, l’image n’a cependant de saillant que l’épaisseur du châssis sur laquelle elle est tendue. Ces dallages de pierre, de près, ne s’avèrent être que des reports photographiques sur toile, pures illusions d’optiques donc, qui se jouent de l’idée du grain autant que de la fausse idée de relief qu’ils proposent. Considérés comme tableaux (non peints) ces vues frontales évoquent aussi des veduti, fenêtres circulaires, hublots ouverts sur des paysages en grisaille. Outre l’allusion évidente aux effets de la peinture de trompe l’œil, aux perturbations visuelles du plein et du creux, le paradoxe sublime de ces objets tient à l’état liquide d’un possible paysage émanant de la vision solide de la pierre.

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Si en joaillerie un cabochon est aussi une pierre précieuse polie, dans l’art du vitrail un éclat utilisé pour la réalisation d’une verrière, c’est aussi, dans le milieu de l’édition, une petite illustration (vignette) accompagnant un texte. Enfin, dans le langage familier, ce même terme peut-être utilisé comme une insulte dans un sens proche d’imbécile ou d’idiot.

Il se pourrait bien que ces similisCabochons qui recouvrent un à un chacune de ces significations, Marc Couturier, avec humour, nous rappellent aussi, pour en revenir à un autre mythe connu (et peut-être davantage encore à la représentation qu’en donna Le Caravage), qu’à contempler ces disques, nous risquons sans doute, si nous n’y prenons garde, le sort que réservait Méduse à ceux qui osaient la dévisager, celui d’une pétrification certaine. Seul le reflet dans le bouclier lustré de Persée, on le sait, permit d’anéantir cette Gorgone.

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Marc Couturier

Galerie Maegh, 42 rue du Bac

du 31 mars au 30 avril 2011

Publié dans (re)vue

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