Sacré caillou

Publié le par ap

(Vauvenargues, Hiver 2002.)

 

Un ciel plat, froid comme une plaque d'acier. La masse compacte de la montagne (vue depuis le jardin de la maison de Véronique) repose, calme et paisible dans l’air humide. C’est vert et bleu avec un peu de roux ; très peu. Parcouru de gris estompés, un peu cotonneux, la campagne semble assoupie sous les fumées âcres du chêne vert.

Vert et bleu, ces couleurs sont loin de mes souvenirs de cette saison ici. J’ai vu, vécu et oublié cette lumière d’hiver. J’ai perdu le rapport de cette harmonie en demi ton.

Dans la région où j’habite aujourd’hui, les arbres font le deuil de leur végétation. Seuls les prés conservent un peu, quand le givre ne le recouvre pas, de cette teinte de chlorophylle, et encore, amoindrie, atténuée, pâle.

Vivant à Aix, je n’imaginais pas les visages de la froidure, la métamorphose des couleurs et encore moins celle du monde végétal. Je n’aurais jamais pu envisager les paquets de brume dans lesquels on circule, de l’aube à la tombée du jour, que le soleil ne peut sonder : murs opaques où le corps s’immerge, hors tout horizon, naviguant  à vue  - c’est là que j’ai compris l’expression « être dans le coton »-, dans la proximité des faibles repères qui, sitôt vus, déjà s’effacent.

Aujourd’hui, vivant dans l’est de la France, je ne reconnais plus ce que j’ai connu. Ce vert qui persiste dans la pinède, en face, me trouble. Ici l’hiver semble être une parenthèse, un suspend de la lumière sur un paysage plus ou moins immobile. Là bas, le bouleversement  lent, mais radical de la nature, impose que le regard change, s’adapte. La transformation qui s’opère de l’été au printemps marque aussi bien la vision que le rythme de vie : tout change et le printemps rhabille ce que l’automne a mis à nu.

 

La Sainte Victoire pèse dans une lumière fade, et je pense soudain que Cézanne a su éviter ses jours sans couleur, sans relief, pour peindre son gros caillou. A défaut, son attention se sera reportée sur des pommes, des oignons, ou un plâtre. Il faudrait revisiter la peinture de cette époque à la lumière des saisons, du mistral et des orages violents qui battent la campagne.

 

Dans le lotissement, en contrebas, l’écharpe de fumée accrochée aux branches de pins vient  enfin de se libérer des aiguilles, masquant l’assise de la montagne. Soulignée ainsi, la masse rocheuse a soudainement perdu de son poids.

Publié dans écrits

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article