Richter : surfaces de l’image, remontées de la peinture

Publié le par ap

Gerhard Richter

Panorama, titre de l’exposition semi-rétrospective présentée au centre Georges Pompidou (du 6 Juin au 24 Septembre 2012), réunit une partie du travail de l’artiste allemand Gerhard Richter. Cette sélection de près de cent cinquante œuvres provient de collections publiques et privées. Comme le titre y invite  il s’agit de parcourir l’horizon de cette production artistique qui s’étale des années 60 à nos jours. La peinture Strip, retenue comme visuel de la couverture du catalogue, illustre assez bien cette intention : montrer les relations étroites que Gerhard Richter a entretenu (et entretient encore) entre abstraction et figuration. Le parcours proposé, tout en conservant un principe chronologique, cherche à rendre compte de ces deux pôles effectifs du travail de l’artiste. La circulation en ce sens est assez fluide, montrant les allés-retours incessants que Richter effectue entre une approche plutôt formelle et un questionnement plus théorique du rôle et du fonctionnement de l’image.

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[notes de visite - 07-2012] 

Que l’on connaisse déjà ou non une œuvre, le défaut d’une rétrospective, toujours, tient à la quantité visible : trop de choses à voir dans un temps donné fatigue le regard, émousse l’attention. Il faudrait donc pouvoir y revenir comme on relit les passages d’un livre, tourner et retourner des pages. L’intérêt d’une rétrospective tient à la confrontation des travaux sur une période plus ou moins longue, à la lisibilité qu’elle propose (c’est le cas pour celle-ci), aux rapports qu’elle induit. Pour les uns, l’accrochage ou la présentation des travaux révèle une évolution, un déplacement des préoccupations esthétiques, chez d’autres, au contraire, elle rend sensible une permanence du propos. Il me semble que dans le cas de Richter, c’est cette seconde lecture qui s’impose.

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A défaut de tout voir, ce qui a particulièrement retenu mon attention dans l’ensemble des travaux exposés, concerne les processus utilisés par l’artiste. Deux modalités au moins* y sont plus particulièrement perceptibles : l’une consiste à produire une cristallisation de la surface peinte, l’autre à jouer d’un frottement de couches, l’une et l’autre conduisant respectivement à une perception statique ou dynamique des tableaux.

Pour ce qui est cet effet de « cristallisation » - le terme n’est pas forcément bien choisi –, le tableau est le résultat d’une application lente, mesurée et retenue de la pigmentation. Dans plusieurs peintures réalisées à partir d’images photographiques (Rouleau de papier toilette (1965), Nu dans l'escalier (1966), Iceberg dans la brume (1982), Chinon n° 645 (1987)…), l’absence de contours nets, le buvardage ou l’estompage, la densité égale du pigment sur la surface de la toile, atténuant tout effet de profondeur réelle de l’espace, produisent la sensation d’un flottement des sujets, un peu comme dans certains tirages photographiques pictorialistes. L’objet, la figure, le paysage sont bien présents, mais sans insistance. C’est d’une présence diaphane dont il est question, d’une  montée discrète et évanescente comme d’un embus sur le carreau.

Bien qu’utilisant des moyens très différents (apposition frontale du medium par une éponge ou un rouleau, pulvérisations ou aplats…), ces peintures photo-réalistes (Richter utilise plutôt le terme de "photos-peintures") sont à rapprocher, pour le principe, des panneaux de gammes chromatiques (1 024 Farben, 1973), des monochromes gris ou des bandes colorées de Strip, car il semble bien que, dans un cas comme dans l’autre, ce soit  le plan de la toile qui s’affirme comme sujet.

Les aspects de « stratifications », au contraire, résultent des interférences entre les différents sédiments de peinture, enfouissements ou résurgences, qui font advenir le tableau : le hasard a sa part! Ces toiles abstraites de moyennes ou très grandes dimensions, Glen (1983), Juin (1983), réalisées par étirements de matière à l’aide de raclettes, comportent cependant une analogie plastique évidente avec certaines « photo-peintures »  (une table biffée d’un gribouillis, une escadrille d’avions, le passage d’un bolide de course, les portraits d’une jeune femme tenant un enfant sur ses genoux, un portrait effacé…), faisant dialoguer les dessous et les dessus de la peinture, la structure et la texture, à toutes profondeurs.

Pour des toiles comme Nouba (1964), Tigre (1966), Tante Marianne(1965) ces rapports entre le fond et la surface sont particulièrement visibles : le noir posé en première instance correspond aux masses ombrées contenues dans la photographie d’origine. Les valeurs claires, ajoutées dans un second temps, ont été étirées horizontalement à la brosse alors que le médium était encore humide (frais), produisant l’effet d’un flou ou d’un tremblé entre la structure sous-jacente et le rehaut.

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(* Les objets et sculptures utilisant du verre font, semble-t-il, la synthèse des questions entre ces deux modalités par des jeux de fixation ou de démultiplication de reflets...)

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Les images qui servent de motif à ce travail de transpositions photographiques (voir ici l’Atlas) ne comportent pas fprcément cet effet de flou : il s’agit donc bien de la part de Richter d’introduire une information graphique supplémentaire (un bruit) venant parasiter le sujet représenté, créant la distance nécessaire entre l’image d’origine et sa reproduction. D’autres procédés picturaux ont également été explorés en ce sens, comme les coups de brosses noires, blanches et grises qui tissent ou tressent des vues de villes. Jouant du paradoxe, cette facture gestuelle qui désarticule (déstructure) la rigueur géométrique du tissu urbain, exprime encore ce jeu de balancier permanent entre figuration et abstraction, objet représenté et objet pictural.

Ces effets de perturbation de l’objectivité photographique au profit des moyens de la peinture s’appuient sur des principes anciens, comme ceux notamment utilisés par Tiepolo dans ses grands décors de plafonds.

[…]

S’il est assez évident que les sujets abordés sont autant de références à l’Histoire de l’Art, la liste en serait cependant trop longue à dresser ici, de Friedrich à Duchamp en passant par Vermeer, Noland, Kelly, Frankentaler... La question d’ailleurs n’est pas là : les processus plastiques eux-mêmes en disent assez long sur cette envie de revisiter et d'entretenir l’héritage du métier de peintre en l'adaptant aux questions de son époque.

[…]

Processus du rapport à l’image et procédures de la peinture que propose Richter sont cependant loin d’être isolés. Les questions qu'il soulève, à savoir l’oscillation entre figuration et abstraction, leurs enjeux sociaux ou politiques, la critique évidente du devenir et du sens de la peinture au regard de nouvelles technologies - questions qui recoupent les considérations de nombreux artistes depuis le début des années 1960 - sont certainement à rapprocher de celles posées, à la même époque, par Malcolm Morley ou Gérard Gasiorowski.  

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Gerhard Richter - Panorama

6 juin - 24 septembre 2012

Centre Georges Pompidou

Gerhard RICHTER, Panorama à Paris

Publié dans peinture

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