Balthus (en demi-teintes)

Publié le par ap

J’étais plutôt enthousiaste à l’idée d’aller voir l’exposition Balthus, présentée par la Fondation Gianadda, à Martigny. Content aussi de partager ce moment avec Claude. Pourtant, en ressortant, c’est un sentiment mitigé qui demeure. Pas d’emballements (à part deux ou trois pièces vraiment magnifiques (Les Enfants Blanchard, 1937, Jeune fille endormie, 1943  et Etude pour Jeune fille à la chemise blanche, 1955), pas de fulgurances, même dans la grande peinture du Passage du commerce Saint André, 1952-1954 que je découvrais ici, pour la première fois, dans ses vraies dimensions. Dans bon nombre de ces peintures, je ne retrouvais pas la voluptué en peinture que laissent entrevoir parfois les reproductions.



En fait, durant toute la visite -  je m’en rends compte maintenant -  je me suis surtout attaché à observer - plutôt que les sujets (que je connaissais déjà) - les effets de matières : le côté grumeleux et parfois vermiculé de la pâte jouxtant des zones lisses et polies. Ce qui m’a frappé surtout, c’était la matité de certaines compositions et leur compacité aussi : une frontalité dure et presque rugueuse par endroits. La palette chromatique par contre, composée souvent de camaïeux roses ou beiges assez crayeux, à l’exception de quelques pointes de rouges ou bleus, m’a semblée bien plus terne que ce que je m’attendais à voir.



Et puis, je me suis dit, bizarrement (et contre toutes apparences), que malgré l’insistance des sujets figurés, la forte géométrisation des figures - plutôt que celle du mobilier ou des architectures - il s’agissait là d’abord d’une peinture très abstraite. Je m’explique : en fait regardant ces tableaux, j’ai eu l’étrange sentiment que les figures très dessinées, une fois installées dans le cadre, représentaient, avant tout, l’enjeu de surfaces à remplir pour les faire tenir ensemble, comme dans certaines marqueteries ou certaines fresques. Comme chez Seurat. Ce n’est pas, bien entendu, le cas de toutes les œuvres présentées, qui sont d’une grande hétérogénéité, mais cela m’est surtout apparu très sensible dans les premières études d’après Piero de la Francesca (justement) et dans les dernières compositions entre 1955 et 1978. Plus Balthus vieillissait plus il semble que la matière s’affirmait dans sa granulosité, son poids physique à l’œil.

L’aspect chargé des matières de certaines toiles a quelque chose de touchant, on peut y déceler une sorte d’hésitation (malgré la charpente solide du dessin agrandi au carreau), ou encore, une très longue gestation, une rumination de la pâte, un empâtement qui chercherait à donner corps.

Donner corps à quoi ? Au sujet ? Je n’en suis pas certain. La réponse la plus simple que je me suis faite a été simplement "donner corps à la peinture".  

[…]

Publié dans (re)vue

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
 Je n'ai pas évoqué, c'est vrai, les dessins qui se trouvent dans une une salle basse de l'exposition et dont certains sont remarquables (une plume pour le diabolo, quelques portraits de Katia et, plus bas encore, les études pour un paysage à la cascade. Je me suis demandé d'ailleurs pourquoi ces dernières oeuvres étaient séparées du reste... Le dernier paysage, en blanc, encore à l'état débauche, est cependant très beau.
Répondre
P
sentiment semblable étrangement, pourtant tjrs heureux d'appréhender "en vrai" sans les séductions du papier glacé. Quelques beaux dessins atemporels et donc classiques, des justesses et subtilités de tons jouissives. Parfois trop illustratif dans quelques oeuvres secondaires, mais magistral dans ses grandes compositions rigoureusement assemblées.
Répondre